Leibniz

12.1.1 Effets externes de la pollution

Quand la production ou la consommation d’un bien a un effet sur quelqu’un qui n’est ni un acheteur ni un vendeur, l’allocation de marché du bien ne sera pas Pareto-efficace. Nous démontrons cela mathématiquement dans le cas de la production de bananes qui utilise un pesticide, le Weevokil, qui pollue les eaux des pêcheurs du voisinage. La quantité de bananes produite et vendue est supérieure au niveau Pareto-efficace.

Pareto-efficace
Une allocation ayant la propriété qu’il n’y a aucune allocation alternative techniquement possible qui serait plus avantageuse pour au moins une personne sans que quelqu’un d’autre n’en pâtisse.

Dans le supplément Leibniz 8.5.1, nous avons analysé les gains à l’échange sur le marché du pain en calculant le surplus total, égal à la somme du surplus du consommateur et du surplus du producteur. Nous avons montré que l’allocation découlant d’un équilibre de marché en cas de concurrence parfaite maximisait le surplus total. Il s’en suit qu’à cette allocation, il n’est pas possible d’améliorer le bien-être d’un consommateur ou d’une entreprise (c’est-à-dire d’augmenter le surplus d’un individu) sans détériorer le bien-être d’au moins un autre consommateur ou une autre entreprise. En supposant que ce qui se passe sur ce marché n’affecte personne d’autre que les acheteurs et vendeurs qui y participent, on peut dire que l’allocation d’équilibre est Pareto-efficace.

Pour analyser le cas de la production de bananes sur l’île des Caraïbes où le Weevokil est utilisé, nous adoptons la même approche, à savoir la détermination du surplus total résultant de la production et de la vente de bananes. Mais il y a une différence importante. La production de bananes affecte les vendeurs et les acheteurs de bananes, mais elle a aussi un effet externe négatif sur les pêcheurs — le coût de la pollution de l’eau par le pesticide. Quand nous calculons le surplus total nous devons donc prendre en compte également les coûts pour les pêcheurs.

Il y a une autre différence entre le modèle du marché du pain et le modèle de production de bananes. Nous supposons que quel que soit le nombre de bananes produites sur l’île, elles peuvent être vendues sur le marché de gros mondial à un prix constant, . C’est une hypothèse raisonnable tant que l’île ne produit qu’une petite part de la production mondiale de bananes. Cela signifie que les décisions prises sur l’île concernant la production de bananes ne changent pas le surplus obtenu par les consommateurs, qu’ils vivent sur l’île ou autre part dans le monde. Nous n’avons donc pas besoin d’inclure le surplus du consommateur dans notre analyse. Remarquez que cette hypothèse est une simplification utile, mais qu’il serait très simple d’adapter le modèle au cas où l’île serait un producteur de bananes important.

Dans l’ensemble, donc, le surplus total (souvent appelé surplus social dans ce contexte) de la production de bananes correspond à la somme du surplus du producteur et du surplus obtenu par les pêcheurs. Cependant, puisque l’effet sur les pêcheurs est négatif, nous écrivons le surplus social de la manière suivante :

Le surplus du producteur est calculé exactement comme dans le Leibniz 8.5.1. Il est égal aux recettes des producteurs de bananes moins leur coût total de production. Si tonnes de bananes sont produites et vendues, le surplus du producteur est :

Ici, est le coût total privé de la production de bananes. Dans le vocabulaire économique, les coûts et bénéfices privés d’une décision correspondent aux coûts et bénéfices allant à celui qui a pris la décision. Soit le coût externe imposé aux pêcheurs quand tonnes de bananes sont produites. Nous pouvons dire que le coût social de la production de bananes est , la somme des coûts privés et externes.

Le surplus social est alors :

Les dérivées des trois fonctions de coût, , et , correspondent respectivement au coût marginal social (CmS), au coût marginal privé (CmP) et au coût marginal externe (CmE). Nous supposons que pour tout , ce qui signifie que CmE est positif et que CmS et CmP sont croissants en . et sont donc des fonctions convexes.

Par conséquent, est une fonction concave et le surplus social est maximisé au niveau de production qui résout la condition de premier ordre . En dérivant l’expression de ci-dessus, on trouve que correspond au niveau de production où le coût marginal social des bananes est égal au prix :

Puisque le surplus social est maximisé à , nous savons que lorsqu’un autre niveau de production est choisi, par exemple pour améliorer le bien-être des pêcheurs (en réduisant leur coût), cela détériore la situation des plantations. est donc le niveau de production Pareto-efficace.

Cependant, n’est pas la quantité qui sera produite à l’équilibre. Les plantations de bananes sont des entreprises qui maximisent leurs profits et elles sont preneuses de prix, puisque quelle que soit la quantité de bananes qu’elles produisent, le prix auquel une tonne de bananes peut être vendue est . Elles choisissent donc leur production de sorte que leur coût marginal privé soit égal au prix du marché, et la courbe d’offre du marché correspond donc à la courbe de coût marginal privé. La production totale des plantations satisfait l’équation :

Afin de comparer le niveau de production de l’équilibre privé au niveau de production Pareto-efficace , considérez la dérivée du surplus social :

Puisque CmE est positif, il s’en suit que :

Et comme est une fonction concave ( diminue quand augmente), nous en déduisons que :

Cette inégalité nous dit que les producteurs de bananes produisent trop de bananes selon le critère de Pareto-efficacité. On peut observer ce résultat dans la Figure 12.2 du texte, reproduite ci-dessous en tant que Figure 1. Dans ce graphique, vous pouvez reconnaître les caractéristiques du problème que nous avons analysé mathématiquement ci-dessus :

Le choix des plantations pour le niveau de production de bananes.

Figure 1 Le choix des plantations pour le niveau de production de bananes.